"Livre d'architecture" - Philibert de l'Orme
Livre I de l'architecture - Philibert de l'Orme
(version légèrement transcripte en orthographe)
Chapitre XVII : manière de bien détremper la chaux, tant pour durer longtemps en oeuvre, que pour être longuement et sûrement gardée , et de l'usage d'icelle pour les peintres.
Pour autant qu'en faisant provision (ainsi que nous avons dit) de toutes matières, j'ai vu plusieurs personnes qui ne savaient garder leur chaux, et y étaient si fort empêchées, que quand il la fallait mettre en oeuvre, elle avait quasi perdu sa force, pour avoir été mal détrempée et faite autrement qu'il ne fallait : pour-ce est-il que je veux vous bien avertir ici comment vous la devez garder, avec la diversité d'en user , vu que les uns s'en aident d'une sorte, et les autres d'une autre. Laquelle chose ne provient d'ailleurs que de la nature de la chaux, laquelle aucuns détrempent ainsi comme elle vient du four, avec de l'eau, sans y mettre sable, et en font une grosse masse, mais s'ils n'entendent le moyen, ils se mettent en danger de la brûler ou noyer, pour y mettre trop d'eau ou trop peu, car cela diminue beaucoup de la force. Etant détrempée, ils l'accumulent ou ramassent en un monceau, puis quand ils en ont affaire pour mettre en oeuvre , ils la détrempent et rebroyent avec du sable, lequel, ils y mettent à leur fantaisie. Les autres, ainsi que la chaux vient du four, tout aussitôt ils la détrempent avec un peu de sable et d'eau, et en font une masse pour garder, puis quand ils la veulent mettre en oeuvre , ils y mettent du sable d'avantage et le rebroie bien fort. Cette façon est meilleure que la première , mais celle que je vous veux ici décrire sera encore trouvée beaucoup meilleure, pour autant que la chaux y peux longtemps bien garder sa force et graisse : de sorte qu'un pied de muraille étant maçonnée de cette chaux, vaudra mieux que trois des autres, et si la pouvez garder longtemps sans qu'elle se gâte, ou perde sa force. La façon est telle : ainsi qu'on apporte la chaux du four, vous l'assemblez en une grande place bien droite, et la mettrez d'une même hauteur, comme de 2 ou 3 pieds, en telle longueur et largeur que vous voudrez. Après cela vous la couvrirez de bon sable terrain, ou de rivière, environ un pied ou deux de hauteur, ou si vous voulez également partout.Cela fait, vous jetterez de l'eau par dessus en assez grande quantité, et telle que le sable en soit si fort mouillé et abreuvé que la chaux se puisse fuser par dessous, sans se brûler aucunement. Si vous voyez qu'en quelque lieu le sable se fende et fasse voie pour la fumée qui en sort, recouvrez le incontinent, afin que la fumée et vapeur n'en sortent. Etant ainsi le sable bien mouillé et détrempé, toutes les pierres de la chaux se convertiront en une masse de graisse, laquelle quand vous entamerez pour faire mortier au bout de 2 ans, 3 ou 10, il semblera que ce soit comme fromage de crème, et en fera la matière si grasse et glutineuse, qu'on n'en pourra quasi tirer le rabot duquel on détrempe le mortier et mangera grande quantité de sable et fera si bon mortier qu'il s'agglutinera avec les pierres ainsi comme si s'était un vrai et bon ciment.Mais surtout il faut bien prendre garde qu'en mouillant le sable, la chaux soit bien partout couverte du dit sable, et qu'elle ne prenne l'air, comme j'ai dit, pour autant que la chaleur et fumée de la chaux fait ouvrir et séparer le chaux , qui pourrait être cause de son évaporation et éventement : pour ainsi, il faut prendre garde à la couvrir toujours. Telle nature de chaux, ainsi tempérée et gardée, est encore merveilleusement bonne, pour faire quelque ouvrage d'incrustation, comme aussi pour enduire les murs à faire estuf (?) et pour servir aux peintres qui besognent à fiez (?) contre les murs, quand ils veulent quelques histoires et ouvrages, où ils appliquent leur couleur sur le mortier, comme sur ciment. Etant ainsi détrempée de longue main la dite chaux, elle ne fait rompre l'enduit, ou mourir les couleurs, comme font les autres mortiers. Il s'est trouvé quelquefois qu'à faute d'avoir ainsi détrempée la chaux, quand le peintre pensait avoir fait quelque belle oeuvre de son état de peinture, au bout de quelque temps après, les couleurs se mourraient et périssaient. Car la force et véhémence de la chaux les mangeait et les faisait changer autrement qu'elles n'étaient quand elles furent mises en oeuvre, ou bien faisait fendre tout l'enduit et peinture, de sorte que quelquefois aucune pièce en tombait ou bien s'y levaient comme petites ampoules ; qui étaient dommage et perte pour le seigneur qui faisait faire l'oeuvre et grand déshonneur au peintre.
Retour à la bibliographie