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Posted on the 3 Mar 2012 by Véronique -
Les touristes qui passent la route du Tizi n'Tichka entre Ouarzazate et Marrakech, et se plaignent des difficultés l'hiver n'imaginent pas un temps où cette même route n'existait pas, et où le seul chemin pour relier ces deux villes passait par le nid d'aigle de Télouet, le bastion des Glaouis d'où ces chefs de tribus berbères commandaient à la fois l'accès à la mine de sel, la descente vers le grand Sud Saharien et la plaine de Marrakech. Le nom des Glaouis, en France, évoque plutôt Mehdi, et Belle et Sébastien, l'enfant acteur fils de Cécile Aubry et d'un des derniers pachas. Mais au Maroc, il évoque une histoire héroïque, de pouvoir, de conquête et de puissance, de munificence, et de traîtrise et de chute, tout un destin qui se résume bien dans la kasbah de Télouet, aujourd'hui encore laissée à l'abandon. A la fin du XIX° siècle, les rois du Maroc sont dépassés, incapables de maintenir l'ordre, entre les révoltes du Nord, Rif, Fès, les attaques des puissances étrangères, espagnoles notamment, et l'insubordination des tribus berbères du Sud, qui ont toujours été un pays de dissidence "bled-siba" par opposition au territoire soumis au pouvoir central, "bled makhzen".
Impressionnés par l'efficacité des Glaouis, chef d'une tribu de l'Anti-Atlas, le sultan leur délègue de plus en plus de pouvoir, leur donne des canons, et en font en pratique les rois du Sud, et les sultans de Marrakech.
L'intelligence des Glaouis est de pactiser en même temps avec les Français. Leur collaboration permet de réduire peu à peu les tribus du Sud, jusqu'à la pacification totale avec la bataille de Bougafer. Même si les Français se méfient des Glaouis et cherchent à réduire leur puissance en ouvrant par exemple la route du Tizi n'Tichka (ce qui diminue les revenus caravaniers des pachas), ils deviennent peu à peu des acteurs incontournables, recevant des ambassadeurs, et autant sinon plus connus à l'étranger que le roi du Maroc. Leur richesse égale leur pouvoir politique. La kasbah de Taourirt, une "petite résidence de garnison" est élargie et somptueusement aménagée. Leur résidence à Marrakech est une splendeur hollywoodienne. C'est surtout la kasbah de Télouet, leur fief, qui connaît des projets d'aménagements grandioses, qui vont s'étaler sur plusieurs dizaines d'années (puisqu'il ne seront pas terminés à l'indépendance). Marbre d'Italie, tapis Rabati et de Perse, verres de Venise, tout le luxe arrive peu à peu, en caravane, puis en camion, à Télouet. Les meilleurs artisans du Maroc viennent pour sculpter les délicats décors en stuc, composer les fines mosaïques aux motifs traditionnels. Télouet est la réunion de la tradition berbère et saharienne, du luxe arabo-andalou et des richesses de l'Europe.
Malheureusement pour les Glaouis, ils penchent trop du côté français, et ni le Maroc ni le roi Mohammed V ne leur pardonneront de rester du côté de l'occupant au moment de l'exil du roi à Madagascar. A son retour, ce sont les Glaouis qui doivent prendre la route de l'étranger. La kasbah de Télouet est abandonnée en l'état, son mobilier précieux, ses tapis pillés, et même des fenêtres, du marbre, tout ce qui peut être pris et réutilisé ailleurs. Elle se dégrade peu à peu. Le village des anciens esclaves, à ses pieds, est encore habité, un gardien la fait visiter, mais rien n'est réparé, les cigognes la colonisent tandis que les murs de pisé s'écaillent peu à peu.
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